Lorsque je travaillais, je devais me lever très tôt, donc me coucher très tôt. Plusieurs fois, j'ai envoyé promener des amis qui m'appelaient tard en semaine. J'étais en train de me culpabiliser pour cela, mais en y repensant objectivement, je me demande si, des amis qui avaient des choses trop intéressantes à faire et n'avoir aucun moment à passer avec moi ni leur samedi, ni leur dimanche ; incapables de me présenter leurs amis ou leur copain ou copine et ne m'appelaient que lorsqu'ils se sentaient seuls, finalement, étaient-ils vraiment des amis ?

A cette époque, je trouvais très long de passer 48 heures sans parler à personne. J'étais même toute heureuse de retourner travailler, même si je restais très active chez moi la fin de semaine.

Et maintenant, je peux passer des semaines entières sans parler à personne. La seule personne qui me rend visite, une fois par mois, c'est le propriétaire, pour collecter le loyer ; les seules personnes qui m'écrivent sont les préposés à la facturation de services que j'utilise ; et les seuls qui m'appellent sont des agents de recouvrement ou des vendeurs de journaux ou de services téléphoniques. De temps en temps ma grand-mère m'appelle pour me raconter son chagrin pour sa fille décédée il y a plus de vingt ans, ou pour me dire qu'elle va bientôt partir elle aussi.

Et bien sûr, une ou deux amies, qui ont un service à me demander ou ont besoin de critiquer une connaissance commune qui a été incorrecte envers elles ou bien qui ont besoin de ce qu'elles prennent pour une pâte molle pour se revaloriser. Malheureusement pour ces chères amies, elles viennent de recevoir un revers de pâte molle sur le nez, et elles vont devoir se trouver un autre pigeon.

Hier, j'ai téléphoné à ma grand-mère, et elle me racontait à quel point les gens sont bizarres. Elles leur parle et parfois ils ne répondent même pas. "Ils sont gentils pourtant. Je ne sais pas ... qu'est-ce que j'ai fait ?" sanglotte-t-elle.

Moi non plus, je ne sais pas. La seule chose que je vois, c'est que le monde a changé, et pas nous, ma pauvre vieille. Les gens ne savent plus communiquer et partager. Ils ne savent que prendre. Ils prennent leur prochain comme un jouet ou un gadget et l'aiment comme tel. C'est pour cela qu'ils ont l'air gentils. Puis lorsqu'ils ont complètement usé leur jouet ou lorsqu'il ne fonctionne pas à leur idée, ils le jettent ou le cassent et vont en chercher un autre. C'est pour cela qu'ils ont l'air méchants.

Et lorsqu'ils ne trouvent pas de jouet, ils dépriment. C'est pitoyable. Mais personne ne souhaite se relever les manches et collaborer, échanger des idées et réaliser des projets avec d'autres. On est prêt à critiquer les autres et à refaire le monde autour d'un café ou d'une bière, mais dès qu'il est temps de passer à la pratique, plus de café, plus de bière, plus de table, plus d'amis. C'est la guerre. C'est à celui qui criera le plus fort pour imposer son idée, pour avoir raison, pour démolir l'autre. Mais personne n'est capable de faire le moindre compromis, de s'enrichir des idées des autres, de s'ouvrir l'esprit. Montrer l'exemple en cédant un pas, puis un autre et encore un autre ? Cela ne marche plus : cela ne fait que conforter l'autre qu'il est tellement meilleur que vous qu'il ne vous cède même plus la parole : "Toi, regarde-moi faire, et tais-toi !". On me l'a déjà dit, je n'invente rien. J'avais eu le tort de prendre l'initiative de faire une partie du travail que personne ne faisait car, tout en se plaignant qu'ils manquaient de temps, ils le passaient, ce précieux temps, à critiquer "les autres", jusqu'à ce que je sois incluse dans ces "autres" si imparfaits et criticables.

Alors je me retranche dans mon petit jardin, et je fais ce que j'ai à faire, seule, sans plus m'occuper des autres, espérant qu'il reste quelque part quelque dinausaure, fougère ou cycas égarés qui passent par là.