Je viens de parler au téléphone avec ma grand-mère. Elle a l'air en forme. Elle parle un peu de la famille, beaucoup de ses voisins que je ne connais pas pour la plupart, ou si peu et dont je ne me souviens plus.

"J'espère que tu n'as pas froid, dit-elle, quel temps il fait chez vous ? Oh ici il pleut, il pleut (...) Est-ce que tu manges un peu ? Ce soir je n'aurai pas de soupe, mais il me reste un morceau de (?) que j'ai fait réchauffer"

Et elle parle, elle parle ... J'apprends qu'il n'y a plus de voisin derrière chez elle, alors je me mets à rêver.

Peut-être que je pourrais retourner là-bas, louer le logement derrière, je pourrais être avec elle, l'aider pour sa toilette, cultiver le jardin, préparer ses repas, l'emmener se promener ? Je pourrai peut-être emmener quelques uns de mes petits oiseaux ? Trouver un petit emploi à temps partiel, et je ne serais plus seule, et elle non plus ? Du moins pour quelques temps ? Quelques années ? Parce qu'elle me rappelle, comme à chaque fois que l'on se parle au téléphone, avec un tremblement dans la voix : "J'aurai bientôt 90 ans, c'est bientôt fini ...".

Je ne dis rien, mais cette fois essaie de résister au chagrin qui me monte à la gorge. Ce n'est pas grave, c'est elle qui se remet à parler de toutes façons. J'aime lorsqu'elle me parle de sa jeunesse, mais elle saute du coq à l'âne, se perd, me perd, alors je me laisse bercer par ses paroles et continue de rêver.

Moi aussi je suis en sursis. Il faudra que je déménage bientôt, et je n'ai ni emploi, ni argent, ni endroit où aller. Si un miracle ne se produit pas, je serai dans la même situation qu'en septembre dernier, et je vais perdre la seule famille qu'il me reste ici : mes animaux.

Elle a fini son récit et s'apprête à raccrocher. J'ose l'interrompre :
"J'ai une question !
- Oui ?
- Est-ce qu'il y a un nouveau locataire derrière chez toi ?
- Ils sont en train de faire des travaux (...) il y en a partout (...) C'est grand (...) je voulais louer pour la visite mais (...) on avait tout nettoyé avec ton grand-père le long de la clôture (...) le gars de la ville a cassé ma plaque d'égoût et j'ai dû payer (...) Bon, aller, je te laisse, hein ? Ne prends pas froid.
- Je t'embrasse très fort". Elle a déjà raccroché.

Je me retrouve seule. Elle aussi. Toutes les deux dans notre sursis.